MILIEU HUMAIN

La Culture - L’élevage - L’entité villageoise - La veillée - Activités d’une vie longtemps autarcique. Le rôle des femmes y est essentiel - La rudesse des travaux n’empêchent pas quelques bons moments.

 

La Culture

La vie des vallées, principalement l’Oueil et le Larboust a surtout consisté à satisfaire à la consommation familiale (alimentaire et vestimentaire). Les habitants ont des besoins modestes. La nourriture de base repose sur des pains faits à partir de blé et de seigle (méteil), de maïs plus tard (le " mistrasse ") ; de bouillies des mêmes céréales (les gaudines) ; de soupes de légumes agrémentées de lard, de viande salée (brebis, chèvres) ; de fromages. La grande préoccupation est donc la mise en valeur des terres cultivables très réduites ici (entre 7 et 13 % du territoire). On compte 2,59 ha/habitant en Oueil, 3,68 ha/habitant en bas Larboust. On continue à labourer à l’Araye (charrue en bois) tirée par boeufs ou chevaux de petites parcelles intelligemment irriguées et fumées : par exemple à Saint-Aventin, à la fin du XIX ème siècle, les soixante-dix-sept ha de terres cultivables (4,46 % du territoire) sont utilisés comme suit : froment (23 ha), seigle (20 ha), pommes de terre (15 ha) depuis le XVIII ème, sarrasin (6 ha), pois (6 ha), métail (4 ha), haricots (4 ha), un peu de maïs plus tard. Les jardins (34 ha) contiennent légumes, lin, chanvre, qui, avec la laine, vont servir à la confection des vêtements.

Ces terrains sont aménagés pour la plus grande exploitation possible (terrasses). On y pratique la culture triennale : - première année : seigle et orge - 2ème année : orge et avoine - 3ème année sarrasin et pommes de terre. Les rendements sont bons : froment 18 à 22 hl/hectare à Saint-Paul, 60 à 90 quintaux/ha pour les pommes de terre. Ces rendements sont obtenus par une gestion très pointue de l’engrais (crottes et urine) des ovins. En priorité, ils ne servent qu’à fumer et chauffer les terrains cultivables, les bovins servant de tracteurs. L’élevage avec la gazailhe est considéré comme un simple appoint (paiement des impôts des premiers besoins, apport d’un peu de liquidité). Ce n’est qu’à la fin du XIX ème siècle qu’il y aura spéculation sur les bêtes, création de fruitières (Mayrègne, Hospice de France). En 1855, les quatorze villages d’Oueil et du Larboust possèdent 861 chevaux, 2517 bovins, 21029 ovins.

A la culture et à l’élevage, il faut ajouter quelques activités d’intérieur permettant de réduire les dépenses : fabrication des objets nécessaires à la maison (chaises, tables, portes, cuvier de bois pour la lessive, pots pour traire vaches et brebis, moules à fromages, outils de fenaison). On fabrique les bougies, on lave et tisse la laine. L’agriculteur est forgeron, maçon, charpentier. Les plus pauvres vont en Espagne faire les moissons, les vendanges, récolter les oranges et les olives pour quelque argent. La contrebande peut être lucrative. A la fin du XVIIIème et au XIXème siècle la mendicité est importante à Luchon (Cagots).

 

L’élevage

La grande affaire a été très tôt de règlementer l’utilisation des pâtures entre vallées, entre villages. Dès

Saint-Paul, Mayrègne, Maylin, signent un traité d’usages. D’autres suivent : traité de 1344 en Oueil et Barousse ; traité du plan d’Arrem en 1513 entre Larboust et Aragon, Luchonnais et Val d’Aran ; 1527 entre Oueil et Larboust pour la montagne d’Espiau.

A niveau des villages, la protection des zones de vaines pâtures (champs débarrassés de la récolte, prairies) a nécessité une réglementation importante de la mi-septembre à fin mars. Elle prévoit des mises en " en défends " complexes pour régir les passages, terrains et période de pacage du bétail en fonction de leur type et des saisons. Selon qu’il est de travail, de nourrissage, de commerce, des zones lui sont ouvertes ou interdites. On distingue bêtes à laine d’une part, vaches et chevaux d’autre part, puis vaches laitières ou non, brebis à engrais ou à agneaux. Le bétail sera amené pour fumer le terrain ou suivre la progression de la pousse d’herbe. Ces mesures peuvent être modifiées selon les conditions climatiques ou économiques : retards de récoltes, déneigement précoce.

La distinction entre ovins et bovins se retrouve en été sur les estives. Les bovins sont rassemblés en deux troupeaux distincts. D’un côté vaches non laitières et " autres bêtes à cornes " gardées par un ou plusieurs bergers salariés par têtes de bétail, de l’autre, les vaches laitières gardées par un pâtre aidés à tour de rôle par un propriétaire. (Mayrègne, Bourg). A Billière, de mai à octobre les bêtes rentrent tous les soirs pour repartir le matin au son de la trompe.

Ces troupeaux retrouvent leurs propriétaires en hiver. Mais, par exemple, certains restent dans les granges-étables que les familles de Saint-Aventin, Cazeaux, Castillon, Oô, possèdent à Gourron, Labach, et en vallée d’Ulys, Esponne, Grange d’Astau. Ils sont gardés par un jeune membre de chaque famille tout l’hiver, veillant au soin des bêtes, retrouvant les autres à la veillée dans l’une des granges.

A Bourg d’Oueil, après avoir passé l’hiver à l’étable, les brebis mettent bas début mars. Début juin les agneaux sont sevrés. Les brebis montent ensuite en estives où trois bergers et un fruitier les traient pour faire un fromage de bonne réputation à la cabane du mont Né.

En plus de leurs bêtes, marquées au corps, tatouées à l’oreille, les éleveurs prennent des bêtes en gazailhe. Un preneur s’engage à entretenir et nourrir le bétail d’un bailleur en échange du partage des profits ou de pertes provenant du " croît " : laine, agneaux, fromage. Des bêtes sont vendues à Luchon à la foire d’automne. La majorité peut partir en plaine pour passer l’hiver dans certaines propriétés moyennant la moitié des agneaux de la laine. L’éleveur, le pâtre, sont un peu vétérinaires. Ils connaissent les vertus de l’huile de génévrier, de l’huide de cade, contre la gale des ovins, du sulfate de cuivre pour soigner le piétin.

Deux types de tontes ont lieu :

-une totale pour les brebis à la Saint-Jean. On laisse aux moutons soit un carré sur le dos, soit une fraise autour du cou.

-trois partielles : à la Sainte-Catherine (25 novembre) sous la gorge, en hiver sous le ventre et aux pattes, le premier mai autour de la queue.

La laine est de qualité médiocre mais de bonne résistance. On s’en sert à la fabrication de bas et de cordelats.

Les chiens de berger sont des patous (pastoure) qui servent à prévenir les attaques de loups. Pour s’en protéger, ils portent un collier muni de clous pointus de 2 cm.

 

De nos jours, les ovins ne sont plus élevés que pour leur viande (race tarasconnaise). Excepté à Poubeau où J.P. Lavigne fait un fromage affiné à trois mois minimum à partir de Brunes des Alpes, les bovins sont des races à viande (Gasconne, Blondes d’Aquitaine, Limousine, croisements de ces races) qui sont à l’étal de certains bouchers de Luchon.

 

L’entité villageoise

Des tentatives d’entité valléenne ont existé, surtout en Larboust, elle n’ont guère eu de suite. Le pire est en vallée d’Oueil où chaque village ignore les besoins de l’autre quant aux débouchés sur le Larboust, bien que Mayrègne soit le centre de délibération de la vallée.

Il en est autrement du village où entraide, serviabilité, réciprocité sont de règle. Soudés par une religion très pratiquée, ignorant la marche du monde, les villageois sont sous la coupe des autorités du curé et du maire. Celui-ci est souvent Consul, chargé de justice, de la faire appliquer, de percevoir certaines taxes. Le conseil de village, nous l’avons vu plus haut, gère l’agro-pastoralisme.

Des pratiques collectives existent:

Le compoix cabaliste règlemente pour chacun ses prétentions à pâtures.

Le " vediaou " ou " bediaou " est le ramassage du bois sous la conduite du maire. Il est obligatoire. Chaque foyer envoie homme qui coupe et femme qui ramasse dès le son de cloche à huit heures pour confectionner des falourdes portées à dos d’homme (fagots de petit bois). Le maire fait des lots de même valeur qu’il répartit. Les absents n’ont rien, sauf le veuf, la veuve et l’orphelin. Du bois plus gros est également abattu en Oueil pour revendre dans d’autres vallées: à Arreau en vallée d’Aure ou à Luchon.

L’utilisation des moulins est commune. A Saint Paul la possession des trois moulins est indivise. Chaque propriétaire vient moudre son grain, participe aux frais. A Castillon, à Cirès, à Caubous un calendrier d’utilisation indique à chaque famille les jours où elle peut moudre aux moulins communaux.

 

Rob de Genièvre (stomachique)

Faire tremper les baies 48 heures puis les faire bouillir 8 h.

dans un baquet en bois, verser par 2 litres la masse épaisse et l’écraser au pilon. Replonger cette pâte dans l’eau de cuisson. Faire macérer 24 h. puis mettre dans une chaudière en cuivre. Faire mijoter 30 mn. en remuant. Ensuite mettre dans un sac par petites quantités, presser et recueillir le jus dans un " grésal " (bassine en grès). Recuire ce liquide pendant 2 à 3 jours jusqu’à consistance de confiture. La cuisson se fait au bois de genévrier. Les baies se récoltent avec un crible spécial: le " campaneche ".

Le Pétéram

Tripes de mouton, fraises de veau. Les blanchir 1 h. les couper en morceaux, les faire revenir à la poële, les verser dans une cocotte, dans un roux. Sel, poivre. Lorsque ça bout, ajouter un bouquet garni, couennes de porc, ail haché, lard. Faire mijoter 6h.

ajouter les pommes de terre 30 mn. avant la fin de cuisson. Servir chaud.

 

La Pistache

Mouton salé, gros haricots, os de jambon. Blanchir les haricots ¼ h. jeter l’eau. Les cuire dans une 2° eau avec couenne, os et mouton. Ecumer. Ajouter carottes, oignons et blancs de poireaux. Laisser mijoter 2 h.

La veillée

Distraction majeure, la pénombre amplifie les effets, fait la part belle à l’imaginaire. Un spécialiste, le conteur de veillée (cahualindè) arrive quelquefois. Les sujets les plus côtés sont les douze géants du Larboust ou les incantades. Les géants auraient leurs tombes sur la rive droite de l’One, entre Luchon et Saint Aventin, dans une zone à amoncellements réguliers où pousse une végétation luxuriante. Les incantades, envoyées par Dieu pour un genre de purgatoire, gardent une pierre. Souvent visibles près des sources, la durée de leur vie est liée à celle de leur pierre.

" I abio un cop " une incantade gardienne de l’une de ces roches erratiques. Son sort est lié à celui de la roche. Si celle-ci disparaît l’incantade meurt. Un serpent doté d’un diamant magique, gage d’immortalité passait par là. L’incantade qui se baignait, voit le serpent, le suit dans son antre pour avoir l’immortalité. Elle lui demande le joyau: " mon rocher se désagrège, lui dit-elle, je vais bientôt mourir. Donne moi ton joyau. " Le serpent lui répond: " je veux bien, à condition que tu sois ma compagne huit jours et huit nuits. Après quoi je mourrais. " Elle accepte et il en est ainsi. La hédète se croyant immortelle reprend ses ébats sans se soucier de son rocher. Un berger, qui passait par là, entend une explosion, perd connaissance. Quand il revient à lui, le rocher a disparu et au bord du ravin, une forme blanche. Un petit sepent sort des entrailles de l’incantade et se pend à son sein.

" Tric-trac , moun count es acabat".

Un marbre sculpté, enclavé dans un des murs de l’église d’Oo représente une femme mettant au monde et allaitant un serpent: Eve est victime du serpent (luxure). Le serpent change de peau, fait corps avec la nature, la terre nourricière et son renouvellement saisonnier. On cherche à repousser la mort.

  

Activités d’une vie longtemps autarcique. Le rôle des femmes y est essentiel.

 

Nombre d’outils, aujourd’hui tombés en désuétude, ont été collectés par le Musée de Luchon.

La rudesse des travaux n’empêchent pas quelques bons moments.

* la veillée:

On y conte les légendes, les exploits réalisés à la chasse (lagopèdes, palombes, coqs de bruyère, lapins, lièvres), au braconnage du poisson, à la problématique et dangereuse chasse de l’isard. Les chants viennent conclure.

* le mariage

Moment de réjouissances. En Oueil, on fait franchir au couple la " barrière ", ruban bleu tendu sur le trajet, en lui faisant promettre de respecter les coutumes, la solidarité, les usages avec les voisins, le carnaval, les fêtes, les danses. La mariée peut prêter serment de servir son mari, d’obéir à sa belle mère, au maire.

* le carnaval

A Mardi Gras il est interdit de travailler. Les jeunes aiment se travestir, se poursuivre avant d’aller manger crêpes et beignets.

* le brandon de la St. Jean

Au solstice d’été, on brûle le sapin coupé par les jeunes en avril, mis à sécher, criblé de fentes à l’aide de coins puis serti de fil de fer. Les plus jeunes courent autour avec des mini - brandons de frêne et de paille.

* les foires

Les hommes mènent les bêtes, à pied ou à cheval, à Saint Béat, Aspet, Saint Girons, Bagnères, Arreau. Les plus fréquentes sont à Luchon le deuxième mercredi de mars ou d’août, les 12 et 22 septembre, les 29, 30 et 31 octobre, le 29 novembre. A partir de 1894, le 08/09 Mauléon-Barousse fait une foire aux fromages et aux laines.

Chaque village a sa fête. Le berger ayant redescendu les bêtes chaque propriétaire sacrifie un mouton. Après de longues agapes à table l’accordéoniste joue dans chaque maison. On chante, on danse.

Au milieu du XIX° s. la crise économique (effondrement des cours), la misère due à la surpopulation, l’exode sont moins ressentis ici que dans les Pyrénées centrales. Le développement de Luchon, grâce au thermalisme, demande de la main d’oeuvre qui aide les gens à rester au pays. La taille de la vallée de la Pique, en aval permet l’implantation d’infrastructures de villes de plaine créant de l’emploi. On peut citer, au XX° siècle. l’hôtel de Superbagnères, le train à crémaillère, les centrales hydro - électriques, les métiers du bâtiment, les commerces, les thermes sans cesse améliorées pour contrer la concurrence, les structures sportives accueillant des stages, l’exploitation des sports d’hiver qui fournit aux jeunes des vallées des revenus non négligeables, les créations de lycée et lycée technique du bois, la chocolaterie Dardenne, de petites unités agro - alimentaire (pisciculture d’Oo et d’Antignac, conserveries d’Oô et de Gouaux de Larboust, embouteillage d’eau à Luchon), des serres, des centres de vacances, de repos, de rééducation, de retraite, l’hôpital...

Dans les vallées, la modernisation agricole, la dépopulation rendent les conditions plus facile. Les restants n’ont plus à cultiver les fortes pentes, ont des troupeaux plus importants. Les subventions aident beaucoup. Hélas, ils sont vieillissants, les jeunes peinent à prendre le relais. Peut être que le tourisme " vert " avec les gîtes, l’allongement de la vie et les revenus des retraités permettant l’achat de résidences, le travail à distance, la recherche d’une certaine qualité de la vie vont ramener des présences dans les villages.

J’aime m’y promener, y provoquer des rencontres. A Artigue, à Gouaux de Luchon, villages excentrés, j’ai savouré des gens aimables, serviables, prenant le temps et le plaisir de parler de leur mode de vie, la plupart d’un certain âge. A l’époque de la communication où l’incommunicabilité est de mise vu les rythmes de vie qu’on nous fait mener, la crise économique, la pensée unique, ils donnent l’impression de vouloir témoigner de qualités humaines ancestrales qui risquent de disparaître avec eux et qu’ils voudraient voir perdurer: entraide, solidarité, une certaine lumière intérieure, les saveurs de la vie en symbiose avec le milieu naturel. Ces vieux qui meurent, bibliothèques qui brûlent, sont peut être des flambeaux, que nous, accompagnateurs, devons reprendre, sans être passéistes, pour transmettre l’harmonie dégagée par ces montagnes qu’ils ont su transcender à force de dialogue avec elles.

 

Je remercie monsieur et madame JOUAN, de Cathervielle, messieurs GOUAUX de Billière, messieurs TERRADE et DEZAIGUES, de Luchon, les deux bibliothécaires du Musée de Luchon, l’archiviste de la Mairie de Luchon, la secrétaire de mairie de Saint Aventin, de leur gentillesse.

Que monsieur Paul CABANIE, qui s’est révélé le Herbie Hancock du traitement de texte reçoive mon amicale affection (Garçon, deux bières ! ).

 

L’élevage dans le canton de Luchon Source : Mairie de Luchon.

 

Ovins en 1993 Bovins en 1994

10 000 brebis 52 élevages 1 025 vaches, 500 génisses 67 élevages

13 éleveurs ont plus de 60 ans (9% de brebis) 16 éleveurs ont plus de 60 ans

- de 50 brebis : 10 élevages de 25 à 40 vaches : 8 éleveurs

100 à 200 : 18 élevages + de 40 vaches: 6 éleveurs

200 à 300 : 5 élevages 43 % Mère Gasconne

+ de 300 : 9 élevages 8 % Mère Limousine

47 % Mère croisée (Blondes Charolaises)

 

Aujourd’hui :

Dans 10 ans : déprise.